Voici une adaptation de légumes, ici des carottes*, dévolue au «dieu» safran, une épice noble dont le pays du Gâtinais et une poignées d'autres provinces, Quercy en tête, maintiennent la tradition millénaire.
Si on ne dispose pas de safran «made in France» (souvent en épicerie fine), on se rabattra sur un safran ordinaire d'importation. Nos carottes, une fois épluchées, peuvent être gardées entières ou bien coupées en rondelles épaisses ou en bâtonnets grossiers, avant d'être mises à mijoter au fond d'une sauteuse huilée dans un lit d'eau. Ensuite, elle seront nimbées d'une onctueuse sauce safranée.
Ce plat d'apparence modeste devient très classe avec des carottes ayant conservé le bout verdoyant de leurs fanes. Fondantes et safranées, elles donneront une garniture (d'une quiche, d'une tarte...) somptueuse. Elle peuvent tout autant se muer en plat de résistance avec la complicité d'une salade verte ou/et des pommes de terre bouillies ou encore un petit riz nature, du boulghour...
*L'association du safran avec la carotte semble assez logique pour l'Île-de-France (le nord du Gâtinais en faisant partie) puisqu'il existait (et existe toujours, mais en production réduite) une carotte parisienne de type grelot, dont la plus connue est la carotte de Meaux (voir aussi à potage Crécy) dite aussi « longue lisse », de couleur orange très soutenu, presque rouge, qui se caractérise par son fondant et sa douceur.
Un peu d'histoire
On l'ignore souvent, la France est productrice de safran, cette épice rare et subtile, issue des délicats pistils rouge-orangés d'une plante vivace de l’espèce Crocus sativus (de la famille des iridacées) dont la fleur, bleu-mauve, fleurit en automne. C’est en prélevant les stigmates de ces fleurs, puis en les séchant que s'obtient la précieuse denrée. Il faut récolter à la main près de 200 000 fleurs pour obtenir 1 kilo de safran sec (soit 150 à 200 fleurs pour 1 gramme de safran)! Dans les safranières, la récolte intervient en automne (octobre-novembre). Les fleurs cueillies, on procède alors à l’émondage, consistant à détacher les trois stigmates que contient chaque fleur. Il n’est conservé que les extrémités rouges des stigmates, mis à sécher pour la conservation. Même si on retrouve des safranières en d'autres endroits (Limousin, Berry, Albigeois, Rouergue), les safranières françaises se situent surtout dans le Quercy et en Île-de-France/Orléanais.
Ainsi, le Gâtinais (pays situé à une centaine de kilomètres au sud-sud-est de Paris) reste-il- fidèle à la culture de cette épice aux qualités tinctoriales, médicinales et surtout gustatives, présente depuis trois millénaires dans plusieurs civilisations moyen-orientales (dont en Perse) et peut-être originaire du Cachemire. Ce safran (d’un mot arabo-persan signifiant «couleur jaune») aurait été introduit près de Boynes, dans le Gâtinais, dès la fin du XIIIe siècle. Sa finesse et son parfum incomparables lui vaudront une renommée mondiale entre la fin du XIVe siècle et le début du XXe siècle (où sa culture, couvrant plus de 1000 hectares, représentait le cinquième de la production mondiale). Après avoir disparu durant un demi-siècle, le safran réapparaîtra dans la région à partir de 1987. La confrérie des chevaliers du Safran du Gâtinais, créée dix ans plus tard, veille à la promotion de ce précieux trésor. Il existe aussi un syndicat regroupant les safraniers du Gâtinais.
De même, le Quercy compte-t-il parmi les régions attachées cette culture, possiblement introduite ici par les Croisés au XIe siècle et cultivée dans la région depuis au moins le XIIIe siècle. Elle était présente dans de nombreuses familles pour leur consommation personnelle. Après une période de production intensive du XVe au XVIIIe siècle, cette culture s’éteindra après la Révolution, sans pour autant disparaître totalement des jardins quercynois. Sa relance date de 1973, grâce à un couple de passionnés, installés au moulin de Larnagol. Aujourd’hui, si la quasi totalité des communes «safranières» se concentrent aux abords des vallées du Lot et du Célé (Causses du Quercy, Bouriane, Quercy Blanc jusqu’au Bas Quercy), certaines se situent dans le Rouergue et même dans le Périgord Noir voisins. Depuis 1998, une fête du Safran se déroule à Cajarc.
Utilisé comme assaisonnement dans plusieurs spécialités ancestrales françaises (hélas, souvent de viande et d'abats), cette épice de fête trouve, néanmoins, son point d’orgue de l'autre côté des Pyrénées avec la paella (voir notre paella de verdura).
Recette
Ingrédients
(pour 4 personnes)
12 carottes carottes-fanes moyennes (un peu moins d'1 kg)
10 cl de crème végétale
2 doses de safran
Huile
Persil (ou ciboulette) (facultatif)
1 pincée de sel
Poivre
Préparation de recette
Eplucher les carottes (ou seulement les laver, si bio) en gardant la fane sur 2-3 cm (si on dispose de carottes-fanes). Ranger à plat les carottes les unes à côté des autres dans une sauteuse ou une poêle huilée. Saler et mouiller d’eau à mi-hauteur des carottes. Porter à ébullition et laisser frémir doucement pendant environ 30 minutes à couvert. Evacuer l'eau de cuisson et réserver.
Pour la sauce safranée: faire chauffer la crème dans une casserole en y mélangeant le safran. Ajouter 1 cuil. à soupe d'huile d'olive, si on la préfère plus grasse. Poivrer et saler à convenance.
Réchauffer les carottes dans leur sauteuse en les arrosant d'1/3 de la crème safranée. Napper le fond d'un plat avec le reste de la crème safranée. Déposer par-dessus les carottes et, si vous le souhaitez, saupoudrer du persil haché.
Le p'tit truc de Léna
Bien entendu, vous pouvez remplacer la poudre de safran par les pistils (on en trouve même en grande surface sous cette forme brute): c'est encore meilleur, mais il faut les infuser.