Objet d’une véritable dévotion de la part des gourmets lyonnais (quand il suscite dédain, au mieux curiosité dans les autres provinces françaises), le cardon trouve l’une de ses meilleures applications en gratin.
On ne consomme que les côtes et le cœur de ce légume dont le goût est voisin de celui de l'artichaut. Après avoir épluché, coupé, défibré et plongé les cardons dans une eau citronnée (pour éviter tout noircissement), leur cuisson doit s'effectuer (pour mieux révéler leur saveur délicate) dans un «blanc-bouillon»: une marmite d'eau salée, citronnée ou vinaigrée, avec un peu de farine délayée, portée à ébullition, dans laquelle on jette les tronçons de carde pour les y laisser cuire à feu modéré, jusqu'à ce que la chair s'amollisse. Une fois égouttés, les cardons seront mêlés de crème végétale ou de béchamel, muscadés, poivrés. De la levure maltée pourra apporter son goût fromager. Le tout gratinera au four. Ce légume, adulé par les familles lyonnaises et méconnu du reste de nos compatriotes (qui, au mieux, l'auront aperçu enturbanné dans un potager ou sur les étals du marché) donnera, en gratin, un plat complet ou une garniture royale pour les fêtes de fin d'année.
Un peu d'histoire
Le cardon, ou carde, est un légume original (ressemblant au céleri, mais en plus long) dont les tiges ligneuses, une fois débarrassées de leur feuillage et des fils présents le long des nervures, deviennent cet aliment charismatique de Lyon et de sa région, que tout gone dès sa plus tendre enfance intègre dans ses habitudes alimentaires.
Ce cardon, qui relève de la famille de l’artichaut, est souvent confondu avec la bette (elle, de la même famille botanique que la betterave). La confusion vient de ce que ce sont les côtes des blettes et des cardons qui sont consommées et que les recettes de cuisine se ressemblent. Néanmoins, si les feuilles de blettes sont comestibles, ce n’est pas le cas pour celles du cardon. Cependant, la région lyonnaise n’a pas le «monopole» de sa culture, puisqu’on la retrouve en Savoie et dans le Dauphiné, ainsi qu'en Provence.
Parmi les variétés de cardes, l’espèce reine est le cardon de Vaulx-en-Velin, cultivé en hiver, ce qui lui vaut de figurer par tradition au menu du repas de Noël. Cependant, au dire de certains gourmets, l’épineux argenté de Plainpalais (région de Genevoise, en Suisse) serait supérieur...
Légume d’hiver, le cardon se sème en mai. Quatre mois plus tard, la plante dépasse 1,5 mètre. Les grandes feuilles aux larges côtes charnues sont alors blanchies (en perdant leur verdeur, elles s’attendrissent), emmitouflées dans une gaine de plastique noir. La récolte des côtes intervient à l’automne, à l'approche des gelées. Les cardons sont arrachés, bottelés en fagots et rangés en cave à l’abri de la lumière. Les côtes blanchies, aussi filandreuses que peu caloriques, se cuisent à l’eau bouillante salée et s’accommodent de diverses manières: sautées, avec du jus de viande ou une sauce poulette… en gratin avec une crème ou une sauce béchamel muscadée (plat incontournable de Noël en région lyonnaise et en Savoie)… cuites avec un roux et parfumées à l’os à moelle (cardons à la moelle)… en omelette.
L'ancêtre commun du cardon et de l’artichaut est un cardon sauvage du pourtour méditerranéen, que les horticulteurs romains, au fil de sélections, améliorèrent. Cultivé en Europe au Moyen Âge, le cardon s’implantera dans le canton de Genève probablement au XIVe siècle (dans la plaine de Plainpalais, mise à disposition des cultivateurs huguenots français ayant trouvé à Genève une terre d’asile). Après la révocation de l’Édit de Nantes, certains étendront cette culture entre Arve et Rhône. A la fin XVIIIe siècle, le cardon aura même acquis de l’importance dans le Vivarais (Ardèche).
La production française, en brutal repli après la dernière guerre mondiale, est évaluée à moins de 450 tonnes, dont les trois-quarts proviennent de la région lyonnaise. Vaulx-en-Velin, bien que n’étant pas l’endroit où on en cultive le plus, se pose comme la capitale du cardon et a légué son nom à une variété inerme (ce qui veut dire sans aiguillon et sans épines), la plus cultivée en France. La ville organise une fête annuelle en décembre en son honneur
Recette
Ingrédients
(pour 4 personnes)
1 pied de cardons de 1,5 pour une garniture ou 2 pieds pour un plat
4 à 6 pommes de terre (facultatif)
2 citrons ou 4 cuil. à soupe de vinaigre (la moitié lors de l'épluchage et la moitié pour la cuisson)
2 cuil. à soupe de farine
Sel
Pour le gratin (proportions à adapter à la quantité de cardons et au goût de chacun):
25 à 40 cl de crème végétale ou de béchamel végétale (voir notre recette)
4 à 6 cuil. à soupe bombées de levure maltée
2 ou 3 pincées de noix de muscade moulue
1 ou 2 pincées de sel
Poivre
Préparation de recette
Séparer les branches du pied du cardon et, si cela n'a été fait, en retirer toutes les feuilles (toxiques). Couper les côtes en tronçons d'environ 4 cm, en éliminer les fils et la pellicule recouvrant la face creuse. Quant au cœur du cardon, sorte de queue d'artichaut: en éliminer les parties fibreuses pour ne garder que le cœur blanc et lisse que l'on coupera en fines rondelles.
Plonger ces cardons dans une marmite d'eau bouillante, farinée et citronnée (ou vinaigrée), et laisser cuire à feu modéré 1h30 à 2 heures, jusqu'à ce que la pointe d'un couteau s'enfonce dans leur chair sans résistance. Bien les égoutter et réserver.
Pour le gratin: mélanger les cardons avec la crème ou la béchamel, ajouter la noix de muscade, le sel, le poivre, la levure maltée. Répartir dans un plat. Envoyer dans un four préchauffé à 210°C pour 30 à 45 minutes, jusqu'à gratinage.
Si on associe des pommes de terre pour en faire un plat plus complet, les faire cuire en robe des champs, puis les éplucher, les couper en quartiers ou en rondelles et les placer avec les cardons dans le plat pour y gratiner.
Le p'tit truc de Léna
L'épluchage des cardons n'est pas une sinécure. On peut se rabattre sur les conserves de cardes espagnoles prêtes à l'emploi, mais, évidemment, ça ne sera pas la même chose...
Bon. Côté dégustation, c'était «spécial». Frédéric est fan de cardes, moi, il y a un goût aigrelet qui me gêne. On me dit que ça dépend de la variété, du terroir, de la maestria du cuisinier, etc. Je veux bien. Je crois surtout qu'il se glisse une part «affective», parce que le légume en lui-même, ça reste fade. Par contre, la crème muscadée était huuuuum!